COVID + GUERRE EN UKRAINE = IMPREVISION CONTRACTUELLE !

Contrats de l'entreprise
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La crise du COVID ainsi que le conflit russo-ukrainien ont impacté considérablement la vie des entreprises. Sur le plan économique, les fournisseurs ont fait face à des difficultés pour honorer leurs commandes en raison de la hausse des coûts dans certains secteurs, notamment celui de la distribution.

Ce contexte met en lumière le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 14 décembre 2022 à propos de la résolution d’un contrat, au motif de l’imprévision, du fait de l’inflation des coûts consécutive au Covid 19 et au conflit russo-ukrainien.

Une situation imprévue....mais classique de l'imprévision

L’affaire concerne la filiale française SALONI France, d’une société espagnole de fabrication de carreaux de céramique. Elle conclut un contrat cadre de référence avec NEXITY LOGEMENT, filiale d’un groupe immobilier, le 1er octobre 2020 avec rétroactivité au 9 septembre 2020, pour une durée de 2 ans. NEXITY dispose de la faculté unilatérale de le reconduire pour une durée supplémentaire d’un an à compter du terme initial fixé au 31 décembre 2022.

La survenance de la hausse des coûts de l’énergie, du gaz et du bois due au Covid 19 et au conflit russo-ukrainien conduit la société SALONI à solliciter la renégociation du contrat en vue d’une adaptation du coût de ses fournitures. En effet, le contrat fixait des prix de vente pour les différents produits de façon ferme pour la durée du contrat.  Mais le fournisseur avait subi des hausses considérables des coûts allant jusqu’à 316% pour l’énergie et 381% pour les emballages. Face au refus de son co-contractant, il saisit le tribunal de commerce de Paris pour l’adaptation des tarifs appliqués à titre principal et la résolution du contrat à titre subsidiaire. A ces demandes, le juge constate l’imprévision, déboute la société SALONI de sa demande de révision du contrat et prononce plutôt sa résolution à la date du 31 décembre 2022.

Une première application de l'imprévision en matière commerciale

Cette décision est la première application judiciaire de l’imprévision (introduite en 2016 dans notre droit des contrats) en présence d’une hausse des coûts due au COVID 19 et au conflit russo-ukrainien.

En principe, la force obligatoire des contrats contraint le débiteur à exécuter la prestation due à son créancier.

Toutefois, lorsqu’un fournisseur n’est plus en mesure d’exécuter son obligation, il peut invoquer l’imprévision (plutôt que la force majeure, rarement admise en jurisprudence). 

L’imprévision est une notion issue de la jurisprudence administrative et consacrée par l’Ordonnance de 2016 portant réforme du droit des contrats. Le Code civil la prévoit en son article 1195cciv. L’imprévision nécessite trois conditions cumulatives, qui étaient réunies en l'espèce.

  • Un changement de circonstances imprévisible

Le changement de circonstances imprévisible s’apprécie au moment de la conclusion du contrat. En l’espèce, les parties avaient connaissance de l’existence du COVID 19 au moment de la signature de leur contrat. Ce qu’elles ignoraient, c’est que cette pandémie allait être suivie du conflit russo-ukrainien et que ces deux événements allaient engendrer la hausse des coûts allant jusqu’à plus de 300% pour le fournisseur : « Il en ressort qu’à l’époque où les parties ont négocié leur contrat, même si le coût de l’énergie, pour l’essentiel, connaissait des fluctuations, aucune des parties n’était alors en mesure de prendre en considération la hausse exceptionnelle intervenue un an plus tard. ».

  • Une exécution du contrat excessivement onéreuse pour l’une des parties

Tout changement de circonstances imprévisible n’entraîne pas l’application de l’imprévision, encore faut-il que l’exécution du contrat soit excessivement onéreuse pour le fournisseur.

L’adverbe ici a son importance. Il ne suffit pas que l’exécution du contrat engendre des coûts. Il faut que les coûts engendrés soient excessifs. L’enjeu est de protéger la convention des parties et de ne pas permettre au débiteur négligeant ou malhonnête de se soustraire à l’exécution de sa prestation. L’une des circonstances de l’imprévisibilité réside dans la hausse « considérable » des coûts. En l’espèce, une hausse de 300% des coûts de production amenait SALONI à vendre à perte.

  • Un risque non accepté

Le contrat peut prévoir une renonciation à l’imprévision. Une telle clause condamnerait alors le fournisseur à continuer le contrat en dépit des pertes. Ce n'était pas le cas en l'espèce, ce qui a amené le Tribunal à considérer que cette condition était aussi remplie. 

Une solution mitigée

Cette décision est intéressante en ce qu’elle constate la hausse des coûts du fait du COVID 19 et du conflit russo-ukrainien. Elle soulève tout de même des interrogations quant à l’appréciation des preuves ainsi que la solution en elle-même qui ne donne pas entière satisfaction à la société SALONI malgré la reconnaissance de l’imprévision.

En effet, la filiale s’est contentée de présenter les comptes des exercices de sa société mère alors que cette dernière n’est pas partie au contrat qui unit SALONI à NEXITY. Le juge adopte une certaine tolérance vis-à-vis de l’accueil des preuves en l’espèce probablement due au caractère exceptionnel de la hausse des coûts et aux répercussions directes sur la filiale.

C’est une solution en demi-teinte. Le juge ne procède pas à la modification du contrat avec effet immédiat comme SALONI le souhaitait à titre principal. En lieu et place, le juge prononce la résolution du contrat à la date prévue du terme initial, soit le 31 décembre 2022. Toutefois, cette résolution fait échec au renouvellement unilatéral du contrat par le client pendant un an. Pour précision, le terme adéquat serait la résiliation car la résolution en l’espèce n’opère que pour l’avenir.

Ainsi, le choix de la résolution traduit la volonté du juge de ne pas s’ingérer dans les rapports économiques des parties et de ne pas procéder personnellement à la révision du contrat comme le prévoit l’article 1195 du code civil.

L’avenir dira si la jurisprudence se montre plus audacieuse et se saisit pleinement de ce nouvel outil juridique.

Article rédigé par Marie-Noëlle ELIAM, sous la supervision de Josquin LOUVIER