Focus sur: la clause de non-sollicitation

Contrats de l'entreprise
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La clause de non-sollicitation de personnel est celle par laquelle une entreprise cliente s’engage à ne pas solliciter ou embaucher, pendant une période déterminée, les salariés et/ou les collaborateurs de l’entreprise prestataire. L’obligation peut d’ailleurs être réciproque même si, à l’origine, ce type de clause a pour objet de protéger le prestataire de service contre le recrutement, par son client, des meilleurs éléments de son personnel.

La clause est classiquement assortie d’une pénalité du type « un an de rémunération brute du salarié concerné ».

Bien que licite, la clause de non sollicitation est d’interprétation stricte, et peut se révéler parfois inefficace si elle n’est pas rédigée avec suffisamment d’attention.

Une clause licite…

La clause de non-sollicitation de personnel est licite. En effet, sa validité est admise par la Cour de cassation car elle se différencie de la clause de non-concurrence (Cass. com., 11 juill. 2006, n° 04-20.438).

Contrairement à la clause de non-concurrence, la clause de non sollicitation n’a pas à être rémunérée, ni limitée dans le temps ou dans l’espace. Il n’y a pas non plus d’exigence de proportionnalité (entre le montant de la pénalité et la durée du contrat), contrairement à ce qu’avaient pu retenir un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles (censuré par l’arrêt de cassation de 2006 précité). Toutefois, les parties devront veiller à ce que l’équilibre général du contrat soit respecté, et à ce que la clause ne soit pas illimitée dans sa durée ni même dans son champ d’application géographique, auquel cas l’obligation n’aurait plus de contrepartie suffisante.

En outre, une clause déséquilibrée, insérée dans des CGV, pourrait être remise en cause sur le fondement de l’article 1171 du Code Civil, selon lequel : Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. 

 … mais d’interprétation stricte

Il faut rappeler qu’il s’agit d’une clause d’un contrat commercial, ce qui permet de s’affranchir des contraintes inhérentes au droit social.

C’est la raison pour laquelle le salarié, qui n’est pas partie au contrat comportant l’interdiction d’embaucher, ne peut prétendre à une contrepartie financière.

Cependant, ce type de clause peut constituer une sorte de clause de non-concurrence déguisée puisque, indirectement, le salarié du prestataire peut se voir privé de la possibilité d’une embauche par le client de son employeur.

Ainsi, lorsque la clause de non-sollicitation porte une atteinte manifestement excessive à sa liberté de travailler, la jurisprudence admet que le salarié pourrait engager une action en responsabilité, en réparation du préjudice qui lui est causé par ladite clause (Cass. soc., 2 mars 2011, n° 09-40.547, Cass. com., 10 mai 2006, n°04-10696). Cette position de principe n’a pas encore été suivie d’effets dans le cadre d’actions au fond, mais le principe du recours du salarié est posé, ce qui crée un aléa juridique.

 

Quelle sanction ?

La pénalité prévue à la clause s’analyse juridiquement comme une « clause pénale » qui peut donc, en vertu de l’article 1231-5 nouveau du Code Civil, être diminuée si jugée « manifestement excessive » par le Tribunal saisi.

Cette pénalité est en outre « libératoire », ce qui signifie que l’on ne peut demander des dommages-intérêts supplémentaires même si le préjudice réellement subi du fait du débauchage du salarié est supérieur au montant fixé dans la clause.

Lorsqu’on combine ces deux aspects, on s’aperçoit ainsi qu’une pénalité jugée excessive pourrait être réduite par le Juge, et qu’en outre, l’entreprise victime de la violation (généralement le prestataire) ne pourra pas former d’autres demandes en justice que l’application de la clause ! D’où la nécessité de réfléchir à une pénalité adaptée à la situation, qui ne sera pas nécessairement les fameux « 12 mois de rémunération » classiquement mentionnés dans ce type de clause.

Qu’est-ce qu’une « sollicitation » ?

Par ailleurs, il convient d’être attentif à la manière dont sont rédigés ces clauses.

Ainsi, il y a quelques années, notre cabinet a eu connaitre d’une clause interdisant les deux parties de « débaucher » les salariés du cocontractant. Dans ce cas, plutôt atypique, c’est le salarié d’un client qui avait vu son prestataire embaucher un de ses informaticiens. Toute la discussion devant le Tribunal de Commerce a porté sur le sens du terme « débaucher », le prestataire contestant toute manœuvre de débauchage, alors que l’intention des parties était clairement d’interdire tout recrutement d’un collaborateur de l’autre partie pendant la durée du contrat, et un an post-contrat. Le Tribunal, dont la Cour a confirmé la décision par la suite, a finalement donné gain de cause à la société victime de la violation (CA Grenoble, 5 mai 2016). Toutefois, seule la rémunération « brute » (hors charges patronales) a été retenue comme montant de l’indemnité faute de précisions sur ce point !

Le périmètre de la clause et la notion de « collaborateur »

L’autre difficulté est liée au périmètre de la clause et à la notion de « collaborateur » : s’agit-il des seuls salariés, ou de tout sous-traitant auquel peut faire appel l’autre partie, voire (comme vu dans certaines clauses), tout « cocontractant » ? Le cas échéant, l’interdiction a un champ d’application beaucoup plus large, et peut ainsi être plus facilement méconnue…y compris de façon non intentionnelle.

Ces quelques éléments démontrent, l’importance d’une rédaction minutieuse de la clause de non-sollicitation, pour garantir leur efficacité (côté prestataire), et aussi (côté client), d’une lecture attentive afin de ne pas passer à côté d’un engagement trop contraignant.

Le cabinet LECLERE & LOUVIER est à votre disposition pour vous accompagner dans la rédaction ou la révision de vos contrats commerciaux.

Josquin Louvier, 14/01/2019