Collectivités: défendez votre nom!

Propriété Intellectuelle
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Il y a deux ans, le maire de la commune de Laguiole déposait symboliquement le panneau de sa commune, après une décision validant la totalité des marques déposées à l’insu de la commune par une société parisienne, et reprenant le nom de collectivité. Dans un arrêt récent, la Cour de Cassation a néanmoins censuré cette décision, et redonné espoir aux collectivités victimes d’une utilisation frauduleuse ou illicite de leur dénomination. L’occasion de faire le point sur les recours dont disposent les collectivités au titre du droit des marques ou du droit commun pour défendre leur nom.

 Aussi curieux que cela puisse paraitre, le nom d’une collectivité n’est pas en soi « indisponible » et peut faire l’objet d’un dépôt de marque, ou être utilisé à titre de dénomination sociale ou de nom de domaine sur Internet. Cela s’explique par le fait qu’une collectivité n’a pas, en principe, vocation à commercialiser des produits et services directement, sous sa propre marque ou dénomination, et que celle-ci doit rester libre d’usage pour ses administrés. Cependant, ces usages peuvent parfois se révéler trompeurs pour les consommateurs ; ou se révéler incompatibles avec les intérêts de la collectivité ou de ses administrés. C’est pourquoi la loi et la jurisprudence ont prévu plusieurs garde-fous contre ces usages abusifs.

Un petit détour par Laguiole

 L’affaire est connue : un entrepreneur parisien a déposé, depuis le début des années 90, pas moins de 27 marques reprenant le terme « Laguiole », du nom de cette charmante commune de l’Aveyron, essentiellement connue pour ses couteaux et ses fromages. Ces marques étaient déposées pour des produits aussi divers et variés que des stylos, des rasoirs ou des barbecues…Sachant que ces produits étaient pour la plupart importés de Chine, il y avait manifestement tromperie sur la marchandise, et atteinte « à la renommée de la collectivité territoriale » au sens de l’article L.711-4 h du Code de la Propriété Intellectuelle. Alors que la commune de Laguiole avait obtenu gain de cause sur le caractère trompeur des marques lors d’une première procédure en 1999, la seconde action intentée par la collectivité contre les dépôts ultérieurs se solda par une cuisante défaite devant la Cour d’Appel de Paris. Celle-ci estima en effet que le nom de Laguiole était insuffisamment connu du grand public pour engendrer un risque de confusion avec les marques en cause. Les Juges s’étaient notamment fondés sur un sondage établissant que seuls 47% des personnes interrogées connaissaient Laguiole ; et uniquement pour les couteaux et fromages, produits non visés dans les dépôts.

Dans son arrêt du 4 octobre dernier, la Cour de Cassation a heureusement censuré cette décision, estimant au contraire que l’utilisation du nom d’une petite commune de 1300 âmes, connue de près de la moitié des Français, était susceptible d’induire le consommateur en erreur sur l’origine des produits couverts par la marque. En outre, ces dépôts étaient frauduleux dès lors qu’ils s’inscrivaient dans une stratégie visant à priver la commune « et ses administrés » d’un nom nécessaire à leur activité.

Combattre les dépôts frauduleux

 Cette décision vient rappeler qu’une collectivité dispose de différents recours pour faire annuler des dépôts de marque reprenant de façon illégitime leur nom. Tout d’abord, la collectivité peut agir en nullité de la marque litigieuse, sur la base de l’article L.711-4 h du Code de la Propriété Intellectuelle, en établissant une « atteinte au nom, à l’image, ou la réputation de la collectivité ». Cependant, la jurisprudence exige que la collectivité démontre un préjudice résultant soit de l’usage, soit de l’existence même de la marque, ce qui n’est pas aisé. Les premières décisions « Laguiole » en sont une illustration. Par contraste, la marque « Paris l’été » a été annulée, les juges estimant qu’elle portait préjudice à la Ville de Paris, notamment en ce qu’elle organise chaque été depuis 2002 son opération « Paris Plages », et que le public pouvait être trompé en raison de l’apparence de garantie officielle du produit ou du service. Mais ce qui vaut pour Paris, qui organise de nombreuses manifestations, ne vaudra pas nécessairement pour une commune de moindre importance…

 Par ailleurs, la collectivité peut également faire valoir le caractère trompeur ou déceptif de la marque, dès lors que le signe choisi « est de nature à tromper le public sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou service » (art. L.711-3 du CPI). Dans ce cas, la collectivité peut soit adresser des observations à l’INPI, soit agir en justice en nullité de la marque, dans le délai de 5 ans. C’est ainsi que les marques « Bel’Morteau » pour désigner des saucisses fabriquées à plus de 110 km de Morteau, ou « Sirop d’Evian » pour des sirops de fruit ne contenant pas d’eau d’Evian ont été annulées. De même, l’article L.121-2 du code de la consommation, relatif aux « pratiques commerciales trompeuses » peut être invoqué avec succès, comme dans l’affaire Laguiole, pour aboutir à une interdiction d’usage de marques reprenant de façon indue des noms de collectivités, lorsque les produits ou services vendus sous cette marque sont sans lien avec la collectivité.

 Enfin, une action en concurrence déloyale ou parasitaire peut être exercée en cas d’usage d’une marque qui nuirait aux intérêts d’une collectivité, ou qui chercherait à tirer indument profit de sa réputation. Cependant, cette action suppose de démontrer l’existence d’un préjudice pour la collectivité, ce qui ne sera pas forcément aisé.

Défendre son nom sur le web

 Par ailleurs, les collectivités ont tout intérêt à être vigilantes quant à la reprise de leur nom comme nom de domaine, qui peut être effectuée en vue d’une revente à prix fort, ou dans le but de profiter de la renommée de ce nom. La loi est de leur côté, puisqu’elle interdit de réserver un nom de domaine reprenant à l’identique le nom d’une collectivité territoriale, « sauf si le demandeur justifié d’un intérêt légitime et agit de bonne foi », par exemple en cas d’usage non commercial. Les collectivités disposent ainsi d’un recours puissant contre les cas de « cybersquatting » de leur nom sur Internet. Cependant, le cas des dénominations similaires et non identiques relèvera du droit commun de la concurrence déloyale.

 Faire jouer son droit d’alerte

 Pour renforcer les droits des collectivités, la loi du 17 mars 2014 a introduit un « droit d’alerte » des collectivités, en étant informées des dépôts de marque contenant leur dénomination ; ainsi que le droit pour la collectivité de faire opposition à ces dépôts sur le fondement de l’article L.711-4 h) du CPI. Cette innovation constitue un progrès majeur pour la protection du nom des collectivités, mais est encore trop peu utilisée par celles-ci. En effet, il faut rappeler que ce droit d’alerte n’est effectif que si la collectivité en fait la demande par écrit à l’INPI. D’autre part, il faut également être en mesure d’analyser si tel dépôt est susceptible de porter atteinte aux droits de la commune, ce qui relève d’une appréciation autant économique que juridique. On ne peut néanmoins qu’encourager les collectivités à exercer ce droit, qui est de nature à « tuer dans l’œuf » tout dépôt manifestement abusif, et à faire l’économie de lourdes procédures judiciaires, comme l’affaire « Laguiole » en a été l’illustration la plus saisissante....

 Josquin Louvier, Avocat

Pour voir la version de l'article publié dans les affiches de Grenoble et du Dauphiné du 14/04/2017

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