L'impression 3D: un défi pour la propriété intellectuelle

Propriété Intellectuelle

La technique d’impression 3D permet, à partir d’un fichier numérisé d’un objet « matériel », de copier cet objet, à l’aide d’une « imprimante », en utilisant des matériaux appropriés pour la fabrication.

Initialement utilisées dans l’industrie, les imprimantes 3D se sont récemment démocratisées, et l’on en trouve désormais à moins de 300 euros. En 2014, on estimait le chiffre d’affaires global généré par des produits « imprimés » en 3D à 669 millions de dollars, dont 25% pour les particuliers.

L’entrée de ce type de machines dans nos foyers fait peser une réelle menace pour les industriels, du fait de la possibilité pour l’utilisateur de copier tout objet de son choix, quel que soit son cout d’achat initial. La baisse du prix de cette technologie diminue également le cout de fabrication des produits contrefaisants, et renforce le risque de contrefaçon sur le marché français. 

Des recours existent pour les entreprises qui souhaitent les protéger leurs droits de propriété intellectuelle, mais tout dépendra de l’utilisation qui est faite de la technologie d’impression 3D.

Le principe : copier, c’est contrefaire !

Quel que soit le droit protégeant l’objet « source », la copie de cet objet par une technique d’impression 3D constituera une contrefaçon, dès lors qu’elle est destinée à une exploitation commerciale.

Le principe est réaffirmé par l’article L.613-3 (pour les brevets), L.513-4 (pour les modèles), ou encore L.122-4 (pour le droit d’auteur) du Code de la Propriété Intellectuelle Ainsi, un industriel qui copie à grande échelle des modèles déposés, ou des produits brevetés, grâce à un scanner et une imprimante 3D, est un contrefacteur.

De même, la numérisation elle-même de l’objet peut constituer une contrefaçon si l’objet est protégé par droit d’auteur, dès lors qu’elle est assimilée à un acte de reproduction. En droit des brevets, la mise à disposition de ce fichier, par exemple sur Internet, peut également être considérée comme une fourniture de moyens essentiels pour la réalisation de l’objet couvert par le brevet, et donc comme une contrefaçon.

S’agissant des marques « en 3D », qui consistent en la protection d’une forme comme signe distinctif (comme la bouteille Perrier, ou encore un jouet Hello Kitty), l’article L.713-2 du CPI interdit également toute reproduction de la marque sans autorisation de son titulaire. Cependant, la jurisprudence rappelle régulièrement qu’il ne peut y avoir de contrefaçon sans usage dans la vie des affaires. Ainsi, une simple reproduction à des fins privées ne sera pas répréhensible.

Et c’est là qu’il existe une faille dans le dispositif législatif.

 La faille : l’exception de copie privée

Si l’usage commercial de l’impression 3D pour reproduire des objets protégés est bien illicite, il n’en va pas forcément de même d’une utilisation purement domestique. En effet, l’article L.613-5 du CPI prévoit que les droits conférés par le brevet ne s’étendent pas aux actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales », ou encore « à des fins expérimentales ». La même exception existe en matière de droit des modèles (art. L.513-6 a), qui est sans doute le plus impacté par la technique d’impression 3D.

En revanche, l’exception prévue en matière de droit d’auteur est plus stricte, puisque la copie à usage privé d’une œuvre protégée présuppose que le « copiste » soit en possession d’un exemplaire licite de l’œuvre. Or, à moins de le créer soi-même avec un scanner 3D à partir du produit authentique, le fichier numérisé du produit sera généralement téléchargé d’une plateforme en ligne, sans garantie qu’il s’agisse d’un fichier « original », diffusé par le titulaire du droit. Si le fichier a été réalisé par un tiers, qui le met à disposition des internautes, la source de la copie n’est plus licite, et l’exception de copie privée ne peut s’appliquer.

De même, la mise à disposition du fichier numérisé par un particulier sur Internet, par hypothèse à un nombre illimité d’utilisateurs, ne relève plus de la copie privée au sens du droit d’auteur.

En outre, en vertu du principe d’unité de l’art, un produit de design industriel peut être protégé à la fois par un titre de modèle et par le droit d’auteur, de sorte que l’exception de copie privée prévue par les deux systèmes doit s’appliquer pour que la copie du produit soit considérée comme légale. On voit ainsi que l’usage privé de la technique d’impression 3D n’est pas forcément sans conséquences juridiques.

 La solution « dure » : viser la source

 Cela étant précisé, il serait illusoire pour l’entreprise titulaire des droits de s’attaquer à l’utilisateur « lambda » d’une imprimante 3D, au motif que la copie s’apparente à une contrefaçon.

 Il semble plus judicieux de s’attaquer à la source du problème, à savoir la diffusion par des plateformes spécialisées, des fichiers numérisés de leurs produits, sans leur autorisation.

 En effet, la responsabilité de ces plateformes est susceptible d’être mise en cause, pour fourniture de moyens (en droit des brevets), ou encore comme co-auteurs ou complices de la contrefaçon (en droit d’auteur ou des modèles).

 Cependant, ces plateformes s’abritent derrière le statut d’hébergeur, prévu par la loi du 21 juin 2004, qui leur offre un irresponsabilité de principe quant à la nature des contenus hébergés. C’est ce qui généralement indiqué dans leurs CGV, lesquelles limitent leur responsabilité en cas d’atteinte aux droits des tiers.

 Ainsi, leur responsabilité ne pourra être mise en jeu qu’à partir du moment où le titulaire des droits leur a notifié l’existence d’un contenu illicite (contrefaisant) et que celui-ci n’a pas été retiré promptement. L’expérience prouve que ce type de notification est efficace, dès lors que le formalisme prévu par la loi est respecté. De cette façon, les entreprises titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent s’assurer efficacement que des numérisations non autorisées de leurs créations ne sont pas disponibles sur Internet.

 L’alternative : le partenariat

 Cela étant, la mutation technologique de l’impression 3D n’est pas prête de d’arrêter, portée par la philosophie du « do it yourself ». Il nous semble donc préférable de l’accompagner plutôt que de la subir.

 Ainsi, les entreprises souhaitant protéger au mieux leurs droits de propriété intellectuelle ont tout intérêt à nouer des partenariats avec les plateformes de diffusion des fichiers numérisés 3D, afin de controler la diffusion de fichiers « pirates » sur ces places de marché.

 La plupart des grandes plateformes d’impression 3D permettent ainsi désormais aux créateurs, de mettre en ligne leurs créations sous format numérique, afin de mieux identifier les fichiers non authentiques.

 Par ailleurs, on peut imaginer que, dans le cadre de leur garantie, les fabricants permettent à leurs clients de fabriquer eux-mêmes des pièces détachées, à partir du fichier original de la pièce, mis à disposition sur une plateforme agréée et avec l’aide de matériaux vendus par un « fab lab » labellisé par l’entreprise. Le paiement du client, sera ensuite partagé entre la plateforme, le « fab lab » et l’industriel, qui trouvera un moyen d’etre présent sur ce nouveau marché, qui vient concurrencer l’ancien. 

Cet article a été publié dans les Affiches de Grenoble, du 10 avril 2015.